Dans cet arrêt, la Cour de cassation a été conduite à préciser le champ d’application de la clause d’exclusion de responsabilité contenue dans les contrats types d’architecte. En effet, dans l’affaire ayant donné lieu à la présente décision, la Société Civile de Construction-Vente Domaine du parc (la SCCV) a fait construire un immeuble en vue de le vendre par lots en l’état futur d’achèvement.
Le maître de l’ouvrage souscrit une assurance dommages-ouvrage
La SCCV a consenti à un architecte, l’Eurl FAYE une mission complète de maîtrise d’œuvre en vue de l’assister dans l’opération de construction dans laquelle sont intervenus diverses entreprises tous corps d’état.
Or, en cours de chantier le maître de l’ouvrage a relevé l’apparition de désordre d’infiltrations dans les logements en provenance des toitures-terrasses et des balcons
La SCCV a déclaré le sinistre à la société ALBINGIAE, assureur dommage ouvrages.
Après expertise, la société ALBINGIA assureur dommage ouvrages a versé une indemnité au maître d’ouvrage.
Il convient de rappeler que l’assureur dommage ouvrages est tenu à une obligation de préfinancement des travaux propres à remédier aux désordres.
La société ALBINGIA, subrogée dans les droits de la SCCV, a alors assigné les intervenants en remboursement des sommes versées au maître de l’ouvrage.
En première instance, le Tribunal judiciaire décidait de condamner in solidium le maître d’œuvre et autres entreprises intervenantes au remboursement des sommes versées au maître d’ouvrage.
Or, l’Eurl FAYE, maître d’œuvre a interjeté appel de ce jugement, reprochant aux premiers juges d’avoir fait litière de l’article G 6.3.1 « Responsabilité et assurance professionnelle de l’architecte », lequel fixe au titre des conditions générales du contrat d’architecte dans les termes suivants :
« L’architecte assume sa responsabilité professionnelle telle qu’elle est définie par les lois et règlements en vigueur, notamment les articles 1792, 1792-2, 1792-3 et 2270 du Code civil, dans les limites de la mission qui lui est confiée.
Il ne peut donc être tenu responsable, de quelque manière que ce soit, et en particulier solidairement, des dommages imputables aux actions ou omissions du maître d’ouvrage ou des autres intervenants dans l’opération faisant l’objet du présent contrat. »
L’architecte fondait son argumentation sur l’arrêt de la Cour de cassation en date du 19 mars 2013, aux termes duquel il avait été décidé que :
« le juge est tenu de respecter les stipulations contractuelles excluant les conséquences de la responsabilité solidaire ou in solidum d’un constructeur à raison des dommages imputables à d’autres intervenants» (Cass., civ. 3e du 19 mars 2013, pourvoi n° 11-25.266)
La société FAYE estimait ainsi que cette clause fixe une exclusion de responsabilité de l’architecte pour les dommages imputables aux autres intervenants à l’acte de construire, tant en cas de responsabilité solidaire que dans l’hypothèse d’une condamnation in solidium.
La Cour d’appel a fait droit à cette argumentation et infirmé le jugement en ce qu’il a condamné in solidium le maître d’œuvre.
L’assureur dommage-ouvrages a formé un pourvoi en cassation à l’encontre de l’arrêt de la Cour d’appel au motif que l’article G 6.3.1 du contrat type d’architecte doit recevoir une interprétation stricte.
Autrement dit, l’article G 6.3.1 devrait être :
« cantonnée aux seules hypothèses dans lesquelles l’architecte pouvait être tenu responsable des dommages imputables aux actions ou omissions du maître d’ouvrage ou des autres intervenants dans l’opération faisant l’objet du présent contrat. »
Selon l’assureur dommage-ouvrages, la condamnation in solidum prononcée par le premier juge à l’encontre de l’architecte tenu lui-même pour responsable de l’entier dommage, ne serait pas visé par la clause d’exclusion de responsabilité.
En revanche selon le maître d’œuvre, la clause d’exclusion de responsabilité ne serait pas limitée à la responsabilité solidaire puisque celle-ci vise l’adverbe « en particulier » attaché à« solidairement » ce qui incluerait a fortiori la responsabilité in solidum.
Aussi, la clause d’exclusion de responsabilité serait applicable également à la responsabilité in solidum.
Par le présent arrêt commenté, la Cour de cassation se prononce en faveur de la thèse soutenue par le maître d’œuvre.
Ainsi, la Cour de cassation estime que les juges du fond étaient tenus d’interpréter souverainement la clause G 6.3.1 des conditions générales du contrat d’architecte, intitulée « Responsabilité et assurance professionnelle de l’architecte » eu égard à l’imprécision des termes de cet article.
Ensuite, la Cour de cassation approuve le raisonnement de la Cour d’appel selon lequel :
« l’application de cette clause, qui excluait la solidarité en cas de pluralité de responsables, n’était pas limitée à la responsabilité solidaire, qu’elle ne visait “qu’en particulier”, la cour d’appel en a déduit à bon droit qu’elle s’appliquait également à la responsabilité in solidum »
Or, ce raisonnement bien que fondé en droit n’allait pas nécessairement de soi.
En effet, la clause d’exclusion de responsabilité ne visait pas expressément la « condamnation in solidium » mais la « responsabilité solidaire »
Ces deux notions sont pourtant en droit bien distinctes l’une de l’autre.
En vertu de l’article 1200 du Code civil dans son ancienne rédaction en vigueur au moment des faits :
« Il y a solidarité de la part des débiteurs, lorsqu’ils sont obligés à une même chose, de manière que chacun puisse être contraint pour la totalité, et que le paiement fait par un seul libère les autres envers le créancier ».
Ainsi, la solidarité entre les intervenants à la construction suppose un engagement contractuel dans lequel ces parties s’obligent à réparer le dommage subi par le maître d’ouvrage, indépendamment de leur responsabilité respective.
En revanche, l’absence de solidarité entre les intervenants à l’acte de construire n’a pas pour effet d’empêcher une condamnation in solidum entre eux.
L’obligation in solidum
En effet, l’obligation in solidum vise à obtenir de tous les responsables d’un dommage, l’indemnisation du maître d’ouvrage, indépendamment de leurs liens contractuels et de leur niveau de responsabilité.
Aussi, l’assureur dommage-ouvrages pouvait légitimement considérer qu’en l’absence de précision textuelle, l’exclusion de responsabilité ne s’applique pas aux condamnations in solidium prononcées par le juge.
Cette appréciation se référait à une jurisprudence ancienne décidant d’écarter la condamnation in solidium du champ de la clause d’exclusion de responsabilité, lorsque le contrat visait uniquement l’exclusion de la responsabilité solidaire (Cass., civ 3e, du 18 juin 1980, pourvoi n° 78-16.096 Bull Civ III n° 121).
Au plan pratique, la condamnation in solidum d’un architecte offrait aux maîtres d’ouvrage et assureur dommage-ouvrages la certitude d’obtenir efficacement le recouvrement des condamnations prononcées à l’encontre des cotraitants.
A cet égard, l’ordre des architectes relevait dans son « cahier de la profession n°48 de novembre 2013» que :
« la condamnation in solidum d’un architecte, dont la responsabilité est engagée, même très faiblement, sera souvent prononcée par le juge pour mettre à sa charge le poids de l’insolvabilité des entrepreneurs »
En dépit de ces considérations, la Cour de cassation a opté pour une solution favorable aux architectes en approuvant le raisonnement de la Cour d’appel sur le champ d’application de la clause d’exclusion de responsabilité.
Malgré, cette décision favorable, il convient de noter que l’Ordre des architectes a procédé à la modification de son contrat type d’architecte mentionnant désormais expressément « la condamnation in solidium » telle que reprise ci-après :
« G 6.3 – OBLIGATIONS D’ASSURANCE DES PARTIES G 6.3.1 – RESPONSABILITÉ ET ASSURANCE PROFESSIONNELLE DE L’ARCHITECTE
L’architecte assume sa responsabilité professionnelle, tel qu’elle est définie par les lois et règlements en vigueur, notamment les articles 1792, 1792-2, 1792-3 et 1792-4-1 du code civil, dans les limites de la mission qui lui est confiée.
Pour toutes les autres responsabilités professionnelles, il ne peut être tenu responsable, de quelque manière que ce soit, ni solidairement ni in solidum, à raison des dommages imputables aux autres intervenants participant à l’opération.
L’architecte supporte les conséquences financières de sa responsabilité dans les limites des plafonds de garantie fixés dans son contrat d’assurance. L’architecte est assuré contre les conséquences pécuniaires de sa responsabilité professionnelle auprès de la compagnie et par le contrat désigné au CCP. »
CONSEILS DEXTERIA AVOCATS IMMOBILIER
Nous attirons la vigilance des maîtres d’ouvrage sur cette clause d’exclusion soumise par votre architecte à la conclusion du contrat.
Cette clause peut à l’évidence faire l’objet d’une négociation. Il vous appartient dès lors d’en discuter le périmètre pour en exclure la ou les exonérations que l’architecte voudrait vous imposer.
Voir l’arret : Cass. civ. 3e, du 14 février 2019 pouvoir n° 17-26.403