Refus de renouvellement du bail commercial
Les Locataires d’un local commercial s’étaient vu refuser le renouvellement du bail commercial.
Ce refus ouvrait normalement droit au paiement en faveur des Locataires, d’une indemnité principale dite d’éviction égale au préjudice causé par la perte du fonds de commerce (Article L145-14 du Code de commerce) et d’une indemnité dite accessoire composite, comprenant en particulier « le « trouble commercial » et les « frais normaux de déménagement et de réinstallation » (Cf. même article)
Par arrêt d’une Cour d’appel en date du 14 juin 2010, les Preneurs avaient obtenu satisfaction à leurs demandes indemnitaires, en tout cas partiellement, par la condamnation du Bailleur à leur payer une indemnité d’éviction, complétée d’une indemnité des frais de déménagement sur devis et d’un dédommagement justifié par le trouble commercial.
Il apparaît superflu de clarifier l’objet des frais de déménagement aisément identifiables, dont le quantum est arrêté par les tribunaux sur la présentation d’un devis.
En revanche, la notion de trouble commercial appelle une brève clarification.
Force est de reconnaître que le déménagement du fonds de commerce, consécutif au non-renouvellement du bail, aboutit à troubler l’exploitation pour de multiples raisons : absence de l’exploitant à la recherche de nouveaux locaux, suspension de l’activité durant le transfert du commerce et la réinstallation, etc.
Or, il émerge de la description des faits de l’arrêt de Cassation que postérieurement au paiement d’indemnité de remploi les Locataires n’ont pas procédé à leur réinstallation.
Dans ce contexte, le Bailleur a formé la demande de répétition des indemnités de remploi au titre des postes tenant au trouble commercial et frais de déménagement.
Les Locataires opposaient à cette demande l’autorité de la chose jugée.
La demande en répétition de l’indu émanant du Bailleur
Manifestement, au cours de la procédure précédente en indemnité d’éviction, le Bailleur n’avait pas sollicité de conditionner le paiement de l’indemnité accessoire au déménagement effectif de son locataire.
Aussi le Bailleur avait-il, conformément à la décision initiale, exécuté le paiement de l’indemnité de remploi au bénéfice du Locataire.
Toutefois, il se détache de l’énoncé des faits que les Locataires n’avaient pas poursuivi postérieurement leur activité, pas transfert de leur fonds de commerce dans de nouveaux locaux.
Le Bailleur estimait légitime de réclamer la restitution des sommes payées consécutivement à l’arrêt de la Cour d’appel de 2010 sur le fondement du (nouvel article 1302 du Code civil (l’ex-article 1235), aux termes duquel :
” Tout paiement suppose une dette ; ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution… ”
Or, les Locataires n’ont pas déménagé, de sorte que la créance de remploi ne trouvait de fondement que dans la décision de la Cour d’appel du 14 juin 2010.Postérieurement, la créance indemnitaire de remploi n’étant pas née, le Bailleur a estimé juste d’obtenir le remboursement des sommes payées en réparation de préjudices inexistants.Toutefois, l’autorité de la chose jugée devait possiblement faire obstacle cette demande.
Le moyen tiré de l’autorité de la chose jugée sourçait d’une décision solennelle
Les Locataires contestaient la demande en restitution du Bailleur en excipant de l’autorité de la chose jugée de l’Article 480 du Code de procédure civile, aux termes duquel :
« Le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal (…) a, dès son prononcé, l’autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu’il tranche… »
A cet égard, la Cour de cassation réunie en Assemblée plénière du 17 février 2012, pourvoi n°10-24282 affirmait ce principe dans une affaire de brevet annulé conduisant un contrefacteur à solliciter le remboursement de l’indemnité payée au titulaire du droit de brevet anéanti.
« …ayant relevé que M. X… avait été condamné comme contrefacteur par une décision irrévocable, la cour d’appel en a exactement déduit que l’anéantissement rétroactif et absolu du brevet dans la mesure de l’annulation des revendications prononcée par une décision postérieure n’était pas de nature à fonder la restitution des sommes payées en exécution de sa condamnation du chef de contrefaçon … »
La position de la Cour de cassation était justifiée en considération des principes processuels de concentration des moyens et de dessaisissement du juge lorsque le jugement rendu est ni conditionné ni réservé.
Autrement, le principe de l’autorité de la chose jugée est adoucie lorsque le juge conditionne sa décision ou en réserve les effets.
En dépit de l’arrêt solennel de l’assemblée plénière, la 3e chambre civile de Cour de cassation fait sécession en décidant à l’arrêt du 28 mars 2019 que :
« l’autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieure en justice » (Cass., civ. 3e 28 mars 2019, pourvoi n° 17-17.501)
Or, cette position aurait été admissible si l’arrêt de condamnation du 14 juin 2010 avait conditionné le paiement à l’effectivité du déménagement du locataire.
En l’occurrence, il apparaît que le Bailleur se soit dispensé de solliciter des juges du fonds un paiement conditionné au déménagement effectif des Locataires et à la présentation d’une facture justifiant les dépenses réellement engagées.
Mais, la 3e chambre civile de Cour de cassation a voulu un autre dénouement altérant la limpidité des principes.
A l’heure d’un projet de réforme la Cour de cassation visant à filtrer trop puissamment les pourvois, barrage qui affectera le droit au recours des justiciables, il serait plus conforme d’exiger des chambres le respect des principes du droit.
Voir l’arret : jurisprudence_2/troisieme_chambre_civile_572/243_28_41827.html